Interview: Lahcen Saadi dévoile la vision gouvernementale pour l’économie sociale et solidaire au Maroc

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Entretien exclusif avec Lahcen Saadi, Secrétaire d’État chargé de l’Artisanat et de l’Économie sociale et solidaire, à l’occasion des travaux de la 5ᵉ édition de la Rencontre nationale de l’économie sociale et solidaire organisée à l’Université Mohammed VI Polytechnique de Benguérir.

Dans un contexte national marqué par des enjeux sociaux et économiques majeurs, l’économie sociale et solidaire s’impose comme un levier stratégique pour un développement durable, inclusif et équitable. La 5ᵉ édition de la Rencontre nationale de l’ESS, organisée à Benguérir, au cœur de l’Université Mohammed VI Polytechnique, a réuni un large panel d’acteurs et de partenaires pour débattre des avancées, des défis et des perspectives du secteur. Pour Industrie du Maroc Magazine, Lahcen Saidi livre un éclairage détaillé sur la vision gouvernementale, les programmes phares et les ambitions pour l’ESS au Maroc. Nous ne pouvons pas bâtir un modèle social équitable sans intégrer pleinement les acteurs de l’économie sociale et solidaire.

Visite des stands avec le Chef de gouvernement, Aziz Akhannouch, à l’occasion de la 5ᵉ édition de la Rencontre nationale de l’économie sociale et solidaire organisée à l’Université Mohammed VI Polytechnique de Benguérir.

Face aux mutations économiques et aux inégalités persistantes, le gouvernement mise sur une stratégie intégrée et ambitieuse qui place l’économie sociale et solidaire au centre de ses priorités. De la structuration des coopératives à l’autonomisation des femmes rurales, en passant par l’accès aux marchés publics et la digitalisation, le secteur se transforme et gagne en maturité. Ce sont ces dynamiques que nous explorerons avec Lahcen Saidi, acteur clé de cette révolution silencieuse.

Comment percevez-vous la place de l’économie sociale et solidaire dans les politiques publiques ? Bénéficie-t-elle d’un soutien suffisant ?

Je vous remercie chaleureusement pour cette invitation. C’est un immense honneur d’organiser cette cinquième édition de la Rencontre nationale de l’économie sociale et solidaire. C’est d’ailleurs la seule édition qui se tient sous le mandat du gouvernement actuel, qui accorde une importance capitale à ce chantier royal. Nous ne pouvons pas bâtir une dimension sociale sans intégrer les différentes catégories de la population.

Aujourd’hui, le gouvernement dispose d’une vision intégrée de soutien aux petites et moyennes entreprises et à l’investissement, ce qui crée d’excellentes opportunités. Mais il existe une frange de la population qui ne bénéficie pas pleinement de ces investissements. Ce sont les acteurs de l’économie sociale et solidaire. Nous croyons que cette économie émancipe les modèles traditionnels, qu’elle sort des stéréotypes, car elle touche des secteurs variés, bien au-delà des seules catégories vulnérables.

Le Maroc possède un riche capital : plus de 60 000 coopératives, environ 800 000 adhérents, un tissu associatif dense, et un maillage régional. Tous ces acteurs peuvent jouer aujourd’hui un rôle essentiel. Leur contribution représente actuellement plus de 2,5 % du produit intérieur brut. Objectif : atteindre 7 %. Pour cela, il faut unifier ces efforts autour d’une stratégie nationale consensuelle, co-construite avec tous les acteurs concernés. Cette convergence implique toutes les administrations, les institutions publiques et les organismes de soutien à l’ESS.

Ouverture de la 5ᵉ édition de la Rencontre nationale de l’économie sociale et solidaire organisée à l’Université Mohammed VI Polytechnique de Benguérir.

Lors de cette édition, nous avons tenu des ateliers, des colloques, des sessions de networking, et des masterclasses. Plusieurs ministères sont intervenus, ainsi qu’un panel de 24 pays, pour partager leurs expériences et nous inspirer. Il s’agit désormais de produire une stratégie actualisée et des recommandations renforçant notre cadre juridique.

En quoi les programmes “Mouazzara” et “Tahfiz Nisswa” se distinguent-ils ? Avez-vous observé des impacts concrets sur le terrain ?

Effectivement, tous ces programmes, dont “Mouazzara” et “Tahfiz Nisswa”, offrent un soutien financier, que ce soit pour les matières premières ou les équipements coopératifs. Mais ce n’est pas là leur unique objectif. Nous visons également à accompagner ces acteurs, surtout les femmes, à renforcer leurs compétences. Les programmes s’appuient sur un système de sélection transparent via appels à projets, analysé par des comités multipartites, intégrant les différentes parties prenantes. L’économie sociale et solidaire est une alternative concrète qui crée des emplois durables, surtout dans les zones rurales fragilisées par la sécheresse et la baisse de la productivité agricole.  »

Le suivi post‑financement nous permet d’assurer que ces initiatives se concrétisent sur le long terme. Les résultats sur le terrain sont encourageants. Nous constatons une progression tangible des coopératives soutenues, notamment dans le programme “Tahfiz Nisswa”, qui cible l’autonomisation économique des femmes.

Les supports incluent aussi des formations numériques et un accompagnement technique. Nous suivons de près les bénéficiaires, et les premiers résultats sont satisfaisants. Mais notre ambition est d’aller au-delà du simple soutien : nous cherchons à instaurer une stratégie durable et intégrée, cohérente avec les besoins réels des populations.

Malgré les facilités annoncées, des coopératives continuent de rencontrer des difficultés à accéder aux marchés publics. Où se trouve le nœud du problème ?

D’abord, il faut reconnaître que la loi facilite aujourd’hui l’accès des coopératives aux marchés publics. Le vrai défi, c’est leur capacité à répondre efficacement. Il est indispensable qu’elles aient la volonté de participer, la capacité de monter des dossiers, le respect des délais, et les compétences organisationnelles nécessaires. Il existe des lacunes structurelles, que nous devons combler.

L’une des principales difficultés réside dans le marketing, la visibilité des produits, l’accès aux réseaux de distribution. Pour y remédier, nous œuvrons à développer des solutions numériques : plateformes de vente en ligne, marketplaces, e‑commerce. Nous organisons aussi des salons et des expositions, véritables vitrines de commercialisation, mais aussi d’échange et d’apprentissage pour les coopératives.

Ces manifestations enrichissent les acteurs sur des aspects tels que l’emballage, le packaging, la communication, et le commerce électronique. L’idée est de donner un coup d’accélérateur positif à ces structures, afin qu’elles puissent véritablement s’imposer sur les marchés.

Comment l’économie sociale et solidaire peutelle contribuer à atténuer la précarité et faire reculer l’économie informelle?

Il est clair que le Maroc traverse des périodes difficiles : la sécheresse, la baisse de la productivité agricole, et la montée du chômage. L’économie sociale et solidaire se présente alors comme une alternative réaliste, notamment dans les territoires en difficulté.

Elle permet de créer des emplois là où l’économie traditionnelle peine à s’implanter. En particulier, l’autonomisation des femmes rurales est au centre de notre action. Elles sont souvent les gardiennes du patrimoine artisanal, culturel et identitaire du pays. Grâce à l’ESS, elles accèdent à des revenus stables et renforcent leur statut social.

Nous travaillons aussi à l’intégration d’autres leviers : des formations professionnelles, l’accès au capital, et la reconnaissance des compétences. Il en résulte une réponse globale et structurante, qui dépasse la simple dimension économique pour inclure la dignité, la résilience territoriale, et la justice sociale.

Quelles sont vos attentes et vos enjeux à l’issue de cette 5ᵉ édition à Benguérir ? Peuton espérer des engagements ou alliances nouveaux pour faire avancer le secteur ?

Nous sommes très satisfaits du déroulement de cette édition, marquée par la forte présence du Chef du gouvernement et d’un important panel ministériel. L’organisation d’ateliers comparatifs incluant 24 pays, ainsi que la signature d’une quinzaine d’accords, témoignent de l’ambition que nous portons. Notre ambition est de porter la contribution de l’économie sociale et solidaire à 7 % du produit intérieur brut, pour renforcer son rôle dans le développement national.

Notre objectif est double : actualiser la stratégie nationale, pour la rendre compatible avec les défis actuels (climatiques, numériques, sociaux), et renforcer notre arsenal législatif en faveur de l’ESS. Ces accords signés constituent une véritable feuille de route, qui nous permettra d’institutionnaliser une approche cohérente entre les institutions, les collectivités territoriales, les coopératives et les partenaires.

Nous allons analyser et synthétiser les recommandations issues des ateliers afin d’en faire des outils opérationnels. L’objectif est clair : garantir la mise en œuvre effective de ces orientations stratégiques, en soutenant la gouvernance, le suivi, l’évaluation et la convergence des acteurs autour de cet enjeu national.

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